3.1. LA FORMATION DU THERMOGRAPHE
Disons d'abord que "thermographe" n'est pas une profession, contrairement au titre 3 ci-dessus ! Les thermographes professionnels aimeraient bien, mais ce n'est pas encore le cas.
Mais le thermographe est avant tout un professionnel ayant suivi une formation initiale de technicien jusqu'à ingénieur, selon les types d'intervention et les travaux qui lui sont confiés. Les domaines privilégiés de formation sont naturellement en relation avec les sujets qu'il doit aborder par thermographie : la mesure physique, l'électricité, la thermique, la mécanique, les matériaux, la maintenance, le bâtiment, etc...
Il n'y a pas d'Ecole de Thermographie. Cette technique est éminemment pluridisciplinaire et fait appel à des notions sur les rayonnements, sur l'optique, sur les détecteurs et l'électronique, sur le traitement du signal et de l'image, sur la thermique ainsi que sur l'instrumentation et la mesure en général. Comprendre son outil de mesure est une nécessité pour savoir s'il est en état de fonctionner et s'il peut être mis en oeuvre efficacement dans tel ou tel cas, s'il ne va pas se dégrader et se comporter de façon imprévue, et comment il "invente" des informations qui ne sont pas à affecter à la scène observée.
La formation par stage de thermographie appliquée est indispensable pour alerter les futurs thermographes sur la puissance et les limites des appareils et de la technique.
Enfin, basée sur ces fondations solides, l'expérience pourra se cumuler au cours des années. Au meilleur niveau, il faut 2 années pour un ingénieur, utilisant à temps complet la thermographie, pour maîtriser l'ensemble et les détails suffisants pour des interventions de qualité, pour la plupart des applications industrielles. Il est alors devenu un expert confirmé. Il lui reste à connaître les divers matériels possibles avant de penser les adapter, dans des cas particuliers, aux mesures à mener.
3.2. SA CONNAISSANCE DES MATERIAUX ET DE LEURS PROPRIETES
Nous avons vu les idées de base de la thermographie : nous avons montré que la caméra thermique ne sait pas ce qu'elle observe. C'est le rôle du mesureur / thermographe de se préoccuper à la fois de connaître les objets que sa caméra observe et de déterminer les éventuels rayonnements réfléchis sur l'objet observé.
En adoptant une terminologie plus technique, pour l'imagerie thermique en général et la mesure des températures vraies, le rôle du thermographe est déjà de déterminer l'émissivité des matériaux, leur facteur de réflexion, la température d'environnement des objets observés. Mais aussi, son rôle est de comprendre l'équation que sa machine utilise pour transcrire en températures les rayonnements mesurés par la caméra. Cette équation, très simple en fait, n'est valable qu'à certaines conditions, les conditions de validité de la transcription en température. Le thermographe se doit donc, non seulement d'apprécier la situation de mesure, mais également il se doit de la maîtriser afin de se trouver dans les conditions de validité des mesures de températures. La caméra mesure des rayonnements, mais c'est bien le thermographe qui mesure des températures.
Outre l'émissivité (ou aptitude des matériaux à émettre du rayonnement), outre le type et le facteur de réflexion, outre la température des objets environnants, il est nécessaire parfois que le thermographe se préoccupe du facteur de transmission des matériaux observés. Ceux-ci doivent être opaques aux rayonnements auxquels est sensible sa caméra. Et ceci ne se juge pas avec les yeux. De nombreux pièges se présentent, en particulier sur les verres, les plastiques et les peintures.
3.3. SA CONNAISSANCE DES APPAREILS DE MESURE THERMOGRAPHIQUE
Comme tout appareil de mesure, la caméra thermique se spécifie par un ensemble de caractéristiques qui doivent être comprises par le thermographe.
S'agissant d'une caméra fournissant une image, elle a des caractéristiques d'imagerie qui se déclinent dans les trois dimensions de l'espace de l'imagerie ou espace des résolutions : résolutions "thermique", spatiale et temporelle.
FIGURE 5 - Espace de l'imagerie ou espace des résolutions (simplifié)
S'agissant d'une caméra de mesure, elle se spécifie par des caractéristiques d'appareil de mesure, dans l'espace de la mesure thermographique et suivant les trois mêmes dimensions, thermique, spatiale et temporelle.
FIGURE 6 - Espace de la mesure thermographique (simplifié)
On trouve dans la dimension thermique les caractéristiques d'étalonnage, d'exactitude, de dérive, de calibres de mesure, ...
Dans la dimension spatiale des deux espaces, le thermographe ne confond pas les résolutions spatiales d'observation (pour l'image) et de mesure (pour la mesure). C'est une confusion courante. La beauté ou la "définition" d'une image n'exprime pas la qualité de mesure de l'appareil au sens de sa discrimination spatiale : comme exemple majeur, ce n'est pas parce que l'on voit très bien un fil chaud sur l'écran de la caméra que l'on peut en mesurer la température. Il faut que le diamètre du fil chaud soit suffisamment important, pour que la mesure de sa température soit valable. Mieux, il est préférable que le fil ne soit pas visible sur l'image pour que la mesure de sa température soit exacte ! N'est-ce pas la faillite de la thermographie ? Non, c'est une limite plus ou moins forte selon l'application.
En d'autres termes, tout ce qui est visualisable n'est pas nécessairement mesurable. On ne se préoccupe pas de ce sujet en vidéo ou en photographie (qui ne sont pas de la mesure radiométrique).
On constate donc que le thermographe se doit de connaître son appareil, ses caractéristiques, ses limites et son bon état de fonctionnement à l'instant où il le met en oeuvre. Le bon thermographe vérifie que son appareil n'a pas dérivé, est apte à lui fournir des indications fiables sur les rayonnements mesurés, afin qu'ensuite, le calculateur, intégré dans l'appareil ou externe, ayant été informé de la situation de mesure, puisse calculer les températures sous la maîtrise du thermographe.
3.4. SA CONNAISSANCE DE LA THERMOGRAPHIE
Le professionnel a donc suivi une formation en thermographie où il aura appris les limites à la fois de son matériel et de la technique de mesure. Il sait déterminer la contribution de sa caméra et sa contribution propre à la qualité des mesures, leurs valeurs et les incertitudes associées.
Car en effet, la caméra utilisée sur site se trouve en situation de mesure et non plus en situation d'étalonnage, en laboratoire où elle était seule à faire les mesures sur des objets idéalisés. Désormais, elle est sur site et dans les mains du thermographe qui seul appréhende la situation de mesure, comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois. Et cette situation de mesure, appréciée et maîtrisée par le thermographe, est une réalité qui se décrit par des données que la caméra ne connaît pas et dont elle n'est pas maîtresse.
Le thermographe, par sa maîtrise globable du procédé de mesure, par sa formation, par son expérience et par le retour d'expérience, parvient à savoir si la situation le mesure est de son ressort, ou s'il doit céder la place à plus expert que lui, si des données risquent de lui échapper, s'il a tout compris et si, enfin, son intervention est licite et conduira à des résultats pas trop incertains. Cette notion d'incertitude n'est malheureusement pas très à la mode. La croyance à l'appareil de mesure, la foi dans la mesure tout numérique, dans l'informatique et ses logiciels sacrés, conduisent à une crédulité qui sera toujours mise en défaut par les faits, un jour ou l'autre. Le thermographe est modeste et assuré. Il a appris à l'être. L'outil ne peut pas assurer cette fonction.
3.5. UN RISQUE PERMANENT EN THERMOGRAPHIE DU BÂTIMENT : LE PSEUDO-THERMOGRAPHE
La vision est fabuleuse ! Les développements de la TV et du caméscope, de la TV numérique, de la haute définition, du PC multimédia, se poursuivent du fait de l'attrait pour l'image, laquelle exprime plus que tout un livre de mots. Mais l'attrait provoque aussi le pouvoir. C'est l'image qui décide alors, à notre place.
Certains utilisateurs de la thermographie sont soumis au pouvoir de l'image et au pouvoir de leur caméra magique, qui voit l'invisible. Ils sont à la parade tels des paons devant leurs donneurs d'ordres, alors qu'ils n'ont fait qu'appuyer sur le bouton de leur boîte de Pandore. Il peut en sortir le pire comme le meilleur. Laissons ces amateurs de côté, ils se bernent eux-mêmes avant de berner leurs clients. Et servons-nous des images comme d'un outil pour comprendre ce qui se passe dans le bâtiment. C'est bien notre propos, au delà de cette conférence.
3.6. LA QUALIFICATION ET LA CERTIFICATION
En septembre 2012, il existe en France deux certifications COFRAC (certifications de personnes) :
1 - pour le contrôle non destructif par thermographie infrarouge en aéronautique. Voir www.ndt-expert.net.
2 - pour la thermographie du bâtiment (certification COFRAC depuis le 15 septembre 2012).
Il existe également une seule qualification privée à usage néanmoins très répandu pour le contrôle des installations électriques par thermographie infrarouge. C'est la qualification de personne selon le référentiel APSAD D19. Ce n'est pas une certification. Voir ce sujet ici.
Il n'existe aucune formation qualifiante officielle en France, ni de formation diplômante, ni de formation professionnalisante.
Il n'existe pas de profession officielle de "thermographe" ou tout autre nom pour désigner un opérateur de thermographie, en France.
Il n'existe aucune autre certification officielle (de personne ou de société) en France. Seul le COFRAC (www.cofrac.fr) est habilité à délivrer des accréditations d'organismes, alors habilités à certifier.
Tout ce que l'on peut rencontrer est donc à ranger sous la désignation d'action marketing.
L'idée est maintenant de professionnaliser le "paysage thermographique français". C'est ce à quoi s'attelle l'Institut de la Thermographie.
3.7. EN CONCLUSION
La thermographie est une technique puissante confiée à des thermographes formés et expérimentés, professionnels de ce qu'ils contrôlent. La thermographie est un second métier pour celui qui la met en oeuvre ; elle ne s'improvise pas, quand bien même de nombreux cas simples peuvent être traités par des hommes de formation de base. Le piège guette l'aventurier non équipé d'un savoir-faire, sinon à toute épreuve, du moins mis en oeuvre en toute probité. Le vrai thermographe s'arrête là où les tickets de la thermographie et de ses matériels ne sont plus valables. Le thermographe simple ne passera pas aisément ; seul celui que nous avions appelé autrefois en plaisantant l'"homo thermographicus", cocktail de physicien, d'homme de terrain et de petit futé motivé, saura aller au delà des limites où bien d'autres se fourvoieront.